– Depuis Jules Verne, il s’est passé quoi dans l’Imaginaire français ?
– Bernard Werber !
Le genre de truc que j’ai parfois (souvent ?) entendu, lu, blogger, éditeur, sur la question de la SF « à la française ».
Mais avant de parler d’Imaginaire français, il faudrait déjà parler d’Imaginaire en France.
Comme le rappelait fort justement Stéphane Marsan, éditeur de Braglonne, ce dernier reste largement sous-représenté en librairie alors qu’il représente 7% des parts de marché de la fiction, avec 50 millions d’euros de CA. Scandaleux.
Les raisons sont évidemment multiples. Certains invoquent la prédominance du style sur le fond et la persistance du modèle de la littérature blanche, l’un servant de béquille à l’autre. Obnubilés par le « grand style », vecteur de capital social entre tous, les romanciers français plongeraient le lecteur, avide d’action et d’inventivité scénaristique, dans des abîmes d’ennui (cette raison est à mon sens totalement foireuse mais j’y reviendrai).
Les romanciers français manquent d’imagination, admettons. Mais on pourrait invoquer aussi la paresse et le conformisme déplorables de l’édition française à l’endroit de la culture scientifique (et je ne parle pas uniquement de ses conséquences sur le roman de Hard science), des presses universitaires et autres, et de façon générale du milieu intellectuel, si tant est que cette expression veuille encore dire quelque chose. Sur la chose scientifique, y prospèrent d’innommables conneries et depuis des décennies, Bruno Latour ayant été particulièrement prolixe en la matière et pas le moins connu des scientophobes institutionnalisés. L’un de ses émules m’avait dit un jour que la mer Egée n’existait pas avant qu’on lui ait donné un nom… En tous cas, les crétins n’ont nul besoin qu’on le leur dise pour en être, celui-là était bon, et l’évidence avec laquelle cette réalité s’était alors imposée à moi aurait tapé un cortex bien avant l’invention du langage.
De façon corrélative, la philosophie analytique, affiliée à la logique et à l’épistémologie, s’y porte très mal, beaucoup plus mal que la SF, car elle on ne la traduit même pas.
Votre serviteur fut lui-même plusieurs fois qualifié de nazi pour avoir tenté d’expliquer la façon dont les neurosciences renouvelaient le champ disciplinaire des sciences humaines et sociales. La question des priorités budgétaires, la guerre de territoire entre ce qu’on appelait jadis les « humanités » et la science dite « dure », n’y est pas étranger. Quant à la paresse intellectuelle, non…Quoi ! Quelle idée !
Le niveau de la science grand public (suffit de lire quelques productions Odile Jacob) est effroyablement bat. A croire que le lecteur est le dernier des cons. Dans un certain imaginaire éditoriale, il l’est. L’est-il ? On se le demande.
Si les principaux acteurs de la diffusion du savoir traitent si mal la recherche technologique et scientifique, pourquoi le grand public lui accorderait-il de l’importance ? Rappelons que la fumisterie psychanalytique y a oeuvré plus que de raison, jusque dans les écoles de médecine et les tribunaux, et c’est toujours le cas. Son influence en France a été considérable, pourtant inversement proportionnelle à son efficacité. Après le non respect du principe de non contradiction en physique des particules, la mainmise de cette caste de rebouteux crypto-mystiques sur deux institutions françaises majeures que sont la santé et la justice est un mystère que la science n’a pas fini de creuser ! Et les dégâts sont énormes, à plus d’un titre.
Ajoutons que Science et Vie a mis la clé sous la porte et que le journalisme scientifique est un pieux souvenir. En France, la diffusion grand public de la science et de la vie scientifique se cantonne à une rubrique du Monde où elle est essentiellement destinée à animer les cocktails d’entreprise de l’abonné cadre sup. Aux Etats-Unis, si la limite du pire en matière de scientophobie et de bullshit a été franchie depuis longtemps, c’est aussi là que le secteur est prospère et où se déploie des milliers de blogs et sites spécialisés.
La science fiction française a aussi hérité de cette histoire-là, toujours présente et plus que jamais.
Je reviens maintenant sur la question du style. Il est clair qu’on ne décrit pas un match de boxe avec des phrases d’une page au subjonctif imparfait, raconter une guerre interstellaire en haïkus, c’est pas du roman, c’est de l’art contemporain, on s’en doute.
Mais la qualité stylistique d’un polar n’a jamais nuit à l’intensité de sa narration, les lecteurs d’Ellroy ont certainement eu comme moi l’occasion de s’en aviser. Le style, c’est le nerf de la guerre du roman, quel que soit sa catégorie. Une écriture purement fonctionnelle, sans saveur, est un frein à l’immersion. Ca équivaut à un réalisateur qui ne saurait pas où placer sa caméra. Opposer le style à l’efficacité narrative, c’est ne rien comprendre à l’affaire. Ce n’est pas le style qui est en cause, c’est le style pompier, le kitch, la flatulence et le mauvais goût, c’est dire par exemple:
Le long du petit mur de pierre court le poirier en espalier, avec cet ordonnancement symétrique des bras que vient féminiser l’oblongue matité du fruit moucheté de sable roux.
Au cas où l’auteur de cette ridiculerie aurait honte, je ne lui ferais pas l’affront de le nommer, même si l’extrait est très facile à retrouver su le net (du reste, moi-même, j’utilise un pseudo)
Ce genre de gastro littéraire est ce que produisent, dans leur grande majorité, les têtes de gondole de la littérature blanche française actuelle. Mais ça, ce n’est pas le style, c’est juste sa négation.