Les fake news, c’est bien connu, sont une plaie, une tumeur bubonique qui menace individus et institutions et dit-on jusqu’à la démocratie. Elles ne représentent toutefois qu’une infime partie de ce qui est partagé sur la toile; la plupart des utilisateurs des réseaux sociaux croient encore aux « grands médias » (même si ces derniers ne le méritent pas toujours) qu’ils considèrent comme une source fiable de connaissances.
Qu’est-ce qui nous pousse à partager une information ? A priori, parce qu’on la croit vraie. Mais est-ce toujours le cas ? La diffusion d’informations dépend-elle uniquement de notre intérêt pour la vérité ?
À en croire l’étude de Sacha Altay, Emma de Araujo et Hugo Mercier, If this account is true, it is most enormously wonderful”: Interestingness-if-true and the sharing of true and false news, la vérité, si elle est largement privilégiée, ne fait pas nécessairement partie des critères de pertinence d’une information. Une information, « si elle est vraie », c’est à dire dont on n’est pas trop sûr, peut être assez tentante pour qu’on se dispense de cette sainte prudence qu’on dit fille de la sagesse.
Pourquoi s’en priver ! Si elle est fausse et bien on l’oubliera vite et si elle est vraie alors on pourra s’ennorguillir d’avoir été l’un des premiers à épater la toile et de se voir gratifier de followers supplémentaires (là étant pour beaucoup d’entre nous l’unique raison de se lever le matin). Bref, rien n’a perdre. Que Bill Gates ait voulu nous refiler la 5G à l’aide d’un fielleux grain de riz sous-cutané introduit par des toubibs aux ordres, c’est quand même plus excitant qu’un banal accord commercial entre États, collectivités locales et opérateurs !
Ce qui revient à dire que la fiction fait partie intégrante de notre rapport (épistémique) au monde, y compris (surtout) sous ses aspects les plus triviaux. Le monde se doit d’être un spectacle permanent et s’il résiste – il résiste souvent – alors il faut l’y aider. Une information qui galvanise, même si elle a de bonnes chances d’être fausse, est quand même beaucoup plus intéressante qu’une banale vérité avérée.
Du reste, une bonne partie de l’activité scientifique dans son ensemble consiste à confirmer par l’expérience empirique nos intuitions. Mine de rien, c’est un boulot difficile et on ne peut plus noble, mais il se trouvera toujours des crétins pour vous dire: « Ah ouai d’accord, tout ça pour ça ! » En oubliant que le géocentrisme fut longtemps affaire d’intuition.
Une information « what if » – intéressante si elle était vraie – est une vérité potentielle à laquelle est conditionné un gain, un gain émotionnel et étant donné l’importance sociale que revêtent les réseaux sociaux dans certains secteurs d’activités qui en dépendent étroitement, un gain matériel et symbolique.
Il en va de même pour la vérité fictionnelle. Vecteur d’une expérience de pensée, une situation fictionnelle est aussi un pari sur le réel. C’est une situation contrefactuelle dont la vérité suppose que des conditions soient remplies (nomologiques, temporelles notamment), ces conditions étant plus ou moins vraisemblables selon le contexte qui est le sien.
Je ne pense pas prendre beaucoup de risque en disant que parmi tous les futurs possibles, un futur tel que Dune ou n’importe quel roman de SF, même dans un horizon temporel suffisamment long, est peu probable, ses conditions de possibilité étant elles-mêmes assez peu vraisemblables.
On peut parler d’impossibilité contingente (par opposition à une impossibilité absolue). Etant donné les moyens qui sont les nôtres (nos ressources naturelles, nos capacités cognitives) et nos connaissances acquises sur les lois physiques, il est peu probable que nous parvenions un jour à des modes de communication pareils à ceux communément représentés dans la SF, sans considérer pour autant que cela soit nécessairement impossible comme il est impossible de diviser équitablement 23 en 3. Il ne peut y avoir de trisection de 23, cela est épistémologiquement impossible.
En revanche, les scénarii de SF sont des possibilités métaphysiques. L’imagination en est le vecteur cognitif majeur. Nous ne raisonnons pas uniquement sur des faits, mais de façon essentielle, sur des modalités, sur des situations possibles et/ou nécessaires: j’aurais dû faire ça, je pourrais ne pas faire ça, il n’est pas nécessaire de faire ça, il se pourrait que ça arrive, ça aurait pu arriver, etc. Ainsi, les lois de la nature auraient pu être différentes de ce qu’elles sont et ce n’est pas la moindre des vertus de la science fiction (au sens large) de nous le rappeler.
La littérature de science fiction témoigne d’une passion proprement humaine, celui du raisonnement modal et de façon plus générale les conditionnels contrefactuels: « qu’est-ce qui se passerait si… ? »
Greg Egan (en particulier dans Diaspora) est certainement l’auteur ayant poussé le plus loin ce « what if » inhérent à la conscience humaine, sur l’identité personnelle, le problème corps-esprit, le réductionnisme physicaliste, le réalisme scientifique…, dans une démarche prospective la plus rigoureuse qui soit et à ce jour inégalée.
*** Illustration: Diaspora (1997), Greg Egan, éditions Le Belial – Couverture: Aurélien Police – Traduction: Francis Lustman.