Des milliards pour rien ?

L’achat d’espaces publicitaires sur internet est-il lucratif ?

Il l’est en tous cas pour les deux leaders du marché. En France, Google et Facebook raflent à eux seuls les trois quarts de la  publicité digitale, soit 5,2 milliards d’euros. En 2020, aux États-Unis, ont été dépensé environ 121 milliards de dollars en publicités sur Internet, au détriment de la presse papier dont les recettes publicitaires ne cessent de diminuer. 

Vous cherchez des clients, des clics, des conversions ? Google et Facebook savent où les trouver. Avec une précision inégalée, ces géants des datas font passer le bon message aux bonnes personnes et au bon moment. D’humbles internautes sont attirés dans des boutiques en ligne, des électeurs indécis sont informés des méfaits d’Elizabeth Warren, candidate à la présidence américaine, et des voitures défilent sur les écrans d’acheteurs potentiels – disponibles à l’essai en un click.

Mais tout cela est-il réel ? Que savons-nous vraiment de l’efficacité de la publicité numérique ? Les plateformes publicitaires sont-elles si bonnes que ça à nous manipuler ?

Pas sûr du tout à en croire l’article de Jesse Frederik et Maurits Martjin. Avec l’aide d’un économiste de l’Université Berkley, spécialiste de l’économie d’internet, Steve Tadelis, qui sait poser les bonnes questions au bon moment et aux bonnes personnes, l’article montre que la supposée efficacité de la publicité digitale repose en réalité sur une pétition de principe: il n’existe aucune méthode permettant d’infirmer ou de confirmer que ça marche, à part peut-être le pouvoir de conviction de ceux qui en vivent. En revanche, selon Tadelis, les concepts utilisés pour le montrer, telle la « fonction de transformation propriétaire », relèveraient carrément du bullshit. 

Donc, de même que vous pourriez imaginer une vente aux enchères chez Sotheby’s, où le commissaire-priseur présenterait le Picasso en se demandant combien de personnes seraient prêtes à l’acheter et le donnerait ensuite au plus offrant, de même, chaque fois que quelqu’un recherche quelque chose sur Google ou Yahoo ! ou Bing ou tout autre moteur de recherche, des entreprises enchérissent sur différents types de mots-clés.

Autrement dit, elles misent sur ceux qui soi-disant auront le plus de chances d’attirer les meilleurs acheteurs potentiels. Si je clique sur un ad pour aller Ebay, c’est peut-être parce que je voulais anyway aller chez Ebay.

Les benchmarks que les sociétés de publicité utilisent pour mesurer le nombre de clics, de ventes et de téléchargements produits après la visualisation d’une publicité sont fondamentalement trompeurs. Aucun de ces benchmarks ne fait la différence entre l’effet de sélection (clics, achats et téléchargements qui se seraient produits de toute façon) et l’effet publicitaire (clics, achats et téléchargements qui ne se seraient pas produits sans la publicité).

Il y a pire : les esprits les plus brillants de cette génération créent des algorithmes qui ne font qu’accroître les effets de sélection. 

En ciblant de mieux en mieux le client potentiel, les annonceurs ne font finalement que trouver les clients qui les cherchaient déjà !

Considérez la situation suivante : si Amazon achète des clics à Facebook et à Google, les algorithmes de ces plateformes rechercheront les cliqueurs d’Amazon. Et qui est le plus susceptible de cliquer sur Amazon ? Probablement les clients réguliers d’Amazon. Dans ce cas, les algorithmes génèrent des clics, mais pas nécessairement des clics supplémentaires.

Alors pourquoi on continue de dépenser des milliards en ads ? Parce qu’aucun des acteurs impliqués, l’éditeur (Google, Facebook, etc.), le client, le consultant marketing n’a intérêt à ce que ça s’arrête.

Alors pourquoi on continue de dépenser des milliards en Google ads ? Parce qu’aucun des acteurs impliqués, éditeur (Google, Facebook, etc), le client, le consultant marketing, etc., n’a intérêt à ce que ça s’arrête. On ne renonce pas à son salaire, ni à ce qui jusitifie son existence pour des questions de rationalité. 

La réponse est peut-être à trouver du côté de la psychologie comportementale: notre tendance « naturelle » à l’inertie fait partie de ces processus sous-jacents à la prise de décision privilégiant le connu, au détriment bien sûr de notre propre intérêt. On le désigne communément par le biais du statu quo, cette tendance à résister changement, ce dernier nous apparaissant comme trop coûteux, et ce, même si les coûts de transition sont faibles et les avantages quasi certains.

Petite biblio pour la route:

Kahneman, D., & Tversky, A. (1982). The psychology of preference. Scientific American, 246, 160-173.

Samuelson, W., & Zeckhauser, R. J. (1988). Status quo bias in decision making. Journal of Risk and Uncertainty, 1, 7-59.